Aînés LGBT : pour éviter un retour dans le placard
Les experts s’entendent à ce sujet : les personnes issues de la communauté LGBT ont surtout besoin de ne pas être jugées. Si le médecin et son personnel utilisent un vocabulaire inclusif et adoptent une attitude positive, les aînés LGBT seront rassurés et une relation de confiance pourra alors s’installer.
Deux aspects particuliers semblent toutefois se démarquer : d’une part, la discrimination dont ces aînés font l’objet a parfois des répercussions sur leur santé mentale et, d’autre part, les interventions chirurgicales et les traitements hormonaux liés à un processus d’expression de genre peuvent avoir des conséquences à long terme.
La santé mentale
La Fondation Émergence a pour mission d’éduquer, d’informer et de sensibiliser la population aux réalités des personnes LGBT. Son porte-parole, Julien Rougerie, chef du programme Pour que vieillir soit gai, estime qu’il faut être conscient des enjeux sociaux qu’ont vécus les aînés LGBT.
Presque toute leur vie, on les a traités de pervers, taxés de commettre un péché et accusés d’acte criminel. Ils ont appris à se taire, à cacher leur identité. Même si des lois ont été votées depuis, c’est un mécanisme de défense difficile à défaire.
Julien Rougerie, chef du programme Pour que vieillir soit gai à la Fondation Émergence
Vivre du rejet laisse des séquelles
Vivre du rejet dans sa famille, au travail et dans les endroits publics laisse forcément des séquelles, sans compter que les proches entretiennent parfois des préjugés en dépit des lois (voir l’encadré «Cinq dates déterminantes »). Si bien que les aînés LGBT subissent les conséquences de l’isolement social davantage que les autres personnes âgées, parce que cet isolement qui influe sur leur santé mentale aura, dans certains cas, duré toute leur vie.
Présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec et cofondatrice du Centre d’identité sexuelle de l’Université McGill, la Dre Karine J. Igartua souligne que ces aînés, témoins et victimes d’insultes homophobes, de discrimination et parfois même de violence dans leur jeune âge, ont intériorisé les attitudes méprisantes de leurs persécuteurs, ce qui peut provoquer des symptômes de dépression ou d’anxiété.
La société a certes évolué; l’homophobie est moins acceptable, moins intense que par le passé. Cependant, lorsqu’elle est présente, elle est sournoise parce que moins visible. Même en l’absence de danger, il est difficile de faire confiance, quand on a passé tant d’années à se cacher pour se protéger. Et l’on redevient vulnérable en vieillissant, si bien qu’en entrant dans un CHSLD, certains aînés LGBT choisissent de “retourner dans le placard”, par peur d’être victimes d’homophobie de la part des soignants.
La Dre Igartua souligne que la situation est encore pire pour les aînés trans que pour les aînés homosexuels, car la société n’est pas aussi tolérante à leur égard. De plus, les anciens standards de soins rendaient la transition extrêmement pénible, exigeant de la personne qu’elle se travestisse pendant deux ans avant d’avoir accès aux traitements hormonaux et chirurgicaux, ce qui n’est pas sans laisser des traces.
Les personnes issues de la communauté LGBT ne veulent pas être défnies uniquement par leur sexualité. Néanmoins, lorsqu’un homme ou une femme transgenre révèle un parcours qui a compris un traitement hormonal ou des interventions chirurgicales, les médecins, et plus particulièrement les endocrinologues, les gynécologues et les urologues, doivent être à l’écoute et au fait des enjeux sociaux et médicaux de ce type de parcours.
Line Chamberland, titulaire de la Chaire de recherche sur l’homophobie et professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), souligne qu’il y a des enjeux médicaux liés aux transformations corporelles.
Les traitements hormonaux induisent des changements physiques qui sont en harmonie avec l’identité de genre. L’hormonothérapie masculinisante consiste en un traitement de testostérone. Pour l’hormonothérapie féminisante, on aura recours aux anti-androgènes, à l’œstrogène ou à la progestérone; le choix du traitement se fait selon les recommandations du médecin et les préférences du patient ou de la patiente, indique le Dr Jean Palardy, président de l’Association des médecins endocrinologues du Québec.
Les personnes transgenres qui optent pour l’hormonothérapie devront s’y soumettre à vie. Or, bien qu’elle soit utilisée chez plusieurs personnes et depuis longtemps, ses effets à long terme chez la population transgenre ne sont pas encore bien étudiés; il faut donc surveiller certains effets secondaires.
La testostérone peut causer de l’acné, de la calvitie, un gain de poids, une augmentation du nombre des globules rouges, une augmentation du taux de cholestérol et du taux d’enzymes hépatiques. Elle peut également contribuer à l’apparition de l’hypertension, du diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires.
Les hormones féminisantes peuvent entraîner une augmentation du risque de caillots sanguins. Elles peuvent parfois entraîner une augmentation du taux d’enzymes hépatiques et contribuer à un gain de poids ou à une augmentation du taux de cholestérol, la plupart du temps du bon cholestérol. À l’heure actuelle, le risque de maladies cardiovasculaires fait l’objet de controverses.
Une question délicate à aborder
Des études montrent que les aînés LGBT consultent moins le réseau de la santé que les autres personnes âgées, parce qu’ils évitent les situations où ils auront à s’expliquer. Compte tenu de leur expérience de vie, ils sont souvent hésitants à aborder la délicate question de leur identité sexuelle.
Comment les médecins peuvent-ils rassurer cette clientèle ? Julie Beauchamp, première doctorante en sexologie à l'UQAM et coordonnatrice du champ d'expertise Vieillissement inclusif, diversité, santé et bien-être au Centre de recherche et d'expertise en gérontologie sociale du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l'Île-de-Montréal, suggère, entre autres, de rendre l'environnement inclusif.
Des affiches, des dépliants et des magazines spécialisés sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres, que ce soit dans la salle d’attente du médecin, à l’hôpital, en CLSC ou en CHSLD, contribuent à témoigner de l’ouverture du médecin et du personnel.
Les aînés LGBT sont parfois en rupture avec leur famille d’origine. Par conséquent, les médecins auront avantage à parler simplement de proches ou de personnes significatives, au lieu de leur demander si un conjoint, une conjointe ou un membre de la famille pourra les accompagner pour leurs traitements, que ce soit par exemple en radiothérapie, en chimiothérapie ou en ophtalmologie. Ils peuvent également diriger leur clientèle vers les ressources de leur région qui offrent du soutien aux aînés LGBT.
Cinq dates déterminantes
1969 | le Canada décriminalise l’homosexualité en privé, entre adultes consentants.
1990 | l’Organisation mondiale de la Santé retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales.
1996 | la Loi canadienne sur les droits de la personne inscrit l’orientation sexuelle sur la liste des motifs interdits de discrimination.
2005 | la Loi sur le mariage civil fait du Canada le quatrième pays à autoriser le mariage entre personnes de même sexe.
2017 | la Loi canadienne sur les droits de la personne inscrit l’identité et l’expression de genre sur la liste des motifs de discrimination interdits.